
Contexte :
Cet article a été rédigé dans le cadre du séminaire « Crime & Punition », suivi au semestre d’automne 2024 à l’Université de Neuchâtel. L’objectif du cours était d’interroger les fondements moraux et philosophiques des systèmes de justice modernes, en mettant en perspective différents modèles théoriques liés à la punition, à la responsabilité individuelle et à la justice distributive. Dans ce cadre, la question qui m’a guidée tout au long de cet essai pourrait se formuler ainsi :
Peut-on vraiment dire que nous « méritons » ce que nous obtenons, si nos capacités à fournir des efforts sont elles-mêmes façonnées par des facteurs hors de notre contrôle ?
Résumé :
Mon article s’interroge sur la légitimité du mérite personnel comme fondement de la justice distributive. À travers une analyse critique, je confronte deux visions philosophiques opposées : d’un côté, celle de John Rawls, qui rejette l’idée que le mérite (qu’il repose sur le talent ou l’effort) puisse justifier une quelconque inégalité, au motif qu’il s’agit d’attributs arbitrairement distribués dès la naissance ; de l’autre, celle de George Sher, qui cherche à réhabiliter le mérite en affirmant que l’effort, contrairement aux talents, pourrait être considéré comme une capacité universelle, donc méritoire. Je propose une lecture attentive de ces deux approches, en soulignant les limites de la distinction opérée par Sher entre capacités partagées et capacités spécifiques. J’avance ici que la capacité à fournir des efforts, loin d’être universelle, est en réalité façonnée par des facteurs biologiques, sociaux et psychologiques, souvent hors de portée individuelle. Je montrerai alors que la capacité d’endurance, la résilience ou même la motivation sont elles aussi profondément influencées par des conditions de départ inégalitaires. Ces éléments rendent donc l’effort lui-même contingent, au même titre que les talents naturels. Ainsi, même si la thèse de Sher est intellectuellement stimulante et peut sembler intuitivement juste, elle repose selon moi sur une vision idéalisée de la responsabilité individuelle. La conclusion défendue dans ce texte s’inscrit en faveur de la perspective rawlsienne : le mérite, même fondé sur l’effort, ne constitue pas une base équitable pour organiser la répartition des ressources. En conséquence, une justice réellement distributive ne peut se fonder sur des critères aussi instables et inégalement distribués.
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